L’analyse d’erreur

Cette première partie d’article se base sur le livre de Jean-Pierre ASTOLFI, « L’erreur un outil pour enseigner, 2017,  Pratiques et enjeux pédagogiques ». Ce petit livre d’environ 120 pages, donne une multitude de pistes pour analyser les erreurs de nos élèves. Je vous conseille vivement sa lecture.

L’ambivalence de l’enseignant-évaluateur me questionne. Le poids des évaluations sur les élèves est important et nécessite que l’enseignant se pose la question du sens qu’il donne à ses évaluations. Comment utiliser les évaluations autrement, celles-ci étant souvent perçues comme des sanctions. Astolfi souligne que face à cet inconfort, les enseignants évitent au maximum de croiser l’erreur sur leur chemin. Si toutefois une erreur se matérialise, alors l’enseignant peut réagir de deux façons :

_ Sanction: l’erreur est considérée comme une faute, avec toutes les connotations qui lui sont liées. L’erreur est à la charge de l’élève et de ses efforts d’adaptation à la situation didactique.

_ Réécriture: l’erreur est considérée comme un bug. L’erreur est à la charge du concepteur de programme et il est de son ressort de s’adapter au niveau des élèves.

Les modèles constructivistes s’efforcent de ne pas évacuer l’erreur et de lui conférer un statut plus positif. Le but visé restant tout de même d’éradiquer les erreurs. Mais en les provoquant parfois afin d’amener un nouveau savoir. En quelques mots, il s’agit de penser : « Vos erreurs m’intéressent ». Il s’agit de les mettre au cœur du processus d’apprentissage.

La faute Le bug L’obstacle
Statut de l’erreur L’erreur déniée L’erreur déniée L’erreur positivée
Origine de l’erreur Responsabilité de l’élève qui aurait dû la parer Défaut repéré dans la planification Difficulté objective pour s’approprier le contenu enseigné
Mode de traitement Évaluation a posteriori pour la sanctionner Traitement à priori pour la prévenir Travail in situ pour la traiter
Modèle pédagogique de référence Modèle transmissif Modèle béhavioriste Modèle constructiviste

Astolfi relève que la compréhension par les enseignants des erreurs  de leurs élèves n’est pas chose aisée. Il note que « Les uns et les autres ne pensent pas avec le même cadre de référence, n’emploient pas la même logique, n’usent pas des mêmes concepts… Si ceux que cherchent à diffuser les enseignants sont plus conformes à l’état actuel des disciplines, ceux que mobilisent en acte les élèves ont néanmoins leur propre logique, et les erreurs qu’ils commettent ne sont pas exemptes de valeur  » (p. 36).

Il existe différents types d’erreurs et il est important de les identifier car les modalités de l’intervention didactique pour répondre à l’erreur vont s’avérer très différentes.

Les erreurs liées à/aux Description
la compréhension de la consigneles termes utilisés ne sont pas compris dans le sens prévu par l'enseignant
habitudes scolaires ou mauvais décodage des attentesil s'agit là de décoder le contrat didactique souvent sous-entendu entre l'élève et l'enseignant.
conceptions alternativesde par son vécu, un élève à formé au cours de sa vie des conceptions qui collent à sa représentation de la réalité mais qui ne correspondent pas aux théories enseignées.
opérations intellectuellesfaculté encore indisponible chez l'élève alors que l'enseignant pense le contraire
démarches l'enseignant ne comprend pas le cheminement ou l'intention de l'élève
une surcharge cognitivela limite de la mémoire de travail et la charge cognitive de l'activité sont souvent sous-estimées
d'autres disciplinesle transfert de la connaissance venant d'une discipline vers une autre n'est pas chose aisée
la complexité propre du contenuerreurs liées à une mauvaise didactique de la discipline

La compréhension des consignes
Il s’agit pour l’enseignant de réfléchir à la clarté des consignes données par écrit ou oralement. Il peut s’agir de difficultés de lecture. Une décentration de l’enseignant est nécessaire afin de percevoir les difficultés auxquelles les élèves pourraient faire face. Il arrive que les élèves ne réalisent pas l’importance des verbes d’action utilisés dans les consignes. En effet l’utilisation du verbe mesurer, construire va nécessiter l’utilisation d’outils alors que le verbe calculer ne nécessite pas d’outils (si ce n’est éventuellement une calculatrice). Durant l’étude de la géométrie, quel enseignant n’a jamais entendu : « Madame, on peut mesurer sur le dessin ? »
Il ne s’agit pas là de mots nouveaux ni de termes spécifiques mais d’un manque de rigueur dans l’interprétation de la consigne. Il est nécessaire que les élèves fassent un cadrage pour comprendre l’emploi de mots de la vie courante dans un contexte disciplinaire. En effet la signification d’un mot dépend de son contexte. Comme le relève justement Astolfi, qu’y a-t-il de commun entre une fonction digestive, une fonction affine et une fonction grammaticale ?

Les habitudes scolaires et le mauvais décodage
Les réponses données par les élèves se font parfois sous l’influence du contrat didactique. Prenez l’exemple du calcul de l’âge du capitaine. L’élève pour faire plaisir à son enseignant fera une addition si le chapitre étudié est une addition ou une multiplication s’il sort de l’étude de la multiplication. L’élève qui veut faire plaisir à son enseignant, doit-il répondre à la question posée ou à l’enseignant qui la pose ?
Dans bien des situations,  les règles du contrat didactique pour résoudre un problème ressemblent à ces 7 points :
1. Le problème n’a rien à voir avec la vie quotidienne malgré un habillage
2. Le problème possède une solution et une seule et l’enseignant la connaît
3. Il faut faire attention au sens des petits mots dans l’énoncé. Ils peuvent tout changer
4. La résolution consiste à extraire les données réparties dans les phrases de l’énoncé. Ce sont des nombres qui sont tous nécessaires.
5. Une fois les données extraites, il faut trouver la bonne opération et l’effectuer sans erreur.
6. Si le résultat n’est pas un nombre simple alors la réponse doit être fausse.
7. Reste à vérifier la plausibilité de la réponse avant de rédiger au propre ou de la proposer oralement.
Les erreurs suivantes vont dans cette catégorie :

  • L’élève pense que dans un problème, il faut utiliser tous les nombres donnés dans la consigne.
  • L’élève pense que toutes les cases vides doivent être remplies.
  • L’élève pense qu’il y a toujours une et une seule réponse.

Les conceptions alternatives
Les conceptions alternatives sont présentes chez les élèves. Elles sont dues à leur vécu et aux raisonnements qu’ils se sont construits durant leur vie. Ils n’ont pas attendu leur cours de sciences pour se faire une image du système électrique de leur appartement ou de leur système digestif. Demandez à vos connaissances de dessiner le schéma de la digestion lorsqu’ils mangent un sandwich et qu’ils boivent une bière. Vous serez surpris du résultat.
Les éléments suivants proposés par Astolfi permettent de traiter les conceptions alternatives:
1. Faire dessiner en exigeant des légendes les plus détaillées possible.
2. Poser des questions sur l’explication
3. Demander d’expliquer un schéma pris dans un livre
4. Faire choisir et discuter des photos en rapport avec le sujet
5. Faire discuter une autre conception, celle d’un autre élève, d’une autre classe
6. Placer les élèves en situation de raisonner par la négative. (et si le soleil n’existait pas ?)
7. Discuter sur des analogies
8. Travailler les métaphores (si c’était un pays, ce serait ….)
9. Provoquer une contradiction apparente, et laisser les élèves en discuter
10. Faire jouer des jeux de rôles.

Astolfi propose quelques pistes de prise en compte :
1. Les entendre par une écoute positive de ce qu’expriment les élèves.
2. Les comprendre en recherchant la signification de ce qui est exprimé par la classe, et d’abord en postulant que les erreurs ne sont pas fortuites mais méritent d’être analysées.
3. Les faire identifier, car la première caractéristique des représentations est leur fonctionnement inconscient. Si l’élève prend conscience de sa fausse représentation cela contribue à son évolution.
4. Les faire comparer afin d’opérer chez l’élève une décentralisation. Cela confrontera l’élève à d’autres conceptions.
5. Les faire discuter en établissant dans la classe un véritable débat d’idées et en provoquant des conflits sociocognitifs.
6. Les suivre en surveillant leur évolution à court et moyen terme, au long de la scolarité obligatoire mais d’abord au cours d’une année déjà.

Les opérations intellectuelles impliquées
Dans certains problèmes de maths, les opérations impliquées sont contre-intuitives. Par exemple, les élèves doivent additionner alors que le problème parle d’une perte (combien de billes possédait Carlos s’il lui en reste 5 alors qu’il vient d’en perdre 8).
À la même opération arithmétique peuvent correspondre des opérations logiques et un vocabulaire différent.

Les démarches
Certaines productions d’élèves sont peut-être trop rapidement étiquetées comme des erreurs, alors qu’elles manifestent seulement la diversité des procédures possibles pour résoudre une question posée, quand l’enseignant, lui, s’attend à un type de réponse bien précise. On considère souvent comme erronées les propositions des élèves quand elles s’écartent de la méthode-type qui a été imaginée, d’autant que s’y glissent souvent des fautes locales. Un premier levier important consiste à faire discuter les élèves entre eux afin de soulever des conflits sociocognitifs. Un autre levier est celui de la métacognition. Il s’agit pour les élèves de revenir sur un travail déjà effectué pour le réexaminer mentalement afin d’en dégager les caractéristiques. Le troisième levier réside dans les comparaisons de démarches au sein de la classe. Il s’agit ainsi de s’approcher de la zone proximale de développement (telle que présentée par Lev Vygotski) en présentant des travaux d’élèves. On peut alors considérer les modèles immédiatement supérieurs que présentent d’autres élèves comme désignant les étapes à venir de l’apprentissage.

La surcharge cognitive
Depuis quelques années les chercheurs distinguent basiquement deux types de mémoires, la mémoire de travail et la mémoire à long terme. La mémoire de travail se caractérise par sa capacité très limitée et par le temps court de conservation. Elle est sensible aux interférences. Elle s’apparente à la mémoire RAM d’un ordinateur.
La mémoire à long terme est de très grande capacité et elle est conçue pour conserver les informations longtemps. Elle s’apparente au disque dur de votre ordinateur. Apprendre et réviser fait appel à la mémoire à long terme. Pourtant, au quotidien des activités scolaires, la mémoire de travail est au moins aussi importante. C’est ainsi que, pris dans les calculs, les élèves en perdent le sens, ne savent plus où ils en sont et arrivent à dépasser les 224 ans pour l’âge du capitaine sans s’en apercevoir.

Les erreurs ayant leur origine dans une autre discipline
Il s’agit dans ce type d’erreur, de réfléchir aux transferts entre les disciplines. Par exemple l’utilisation de concepts mathématiques en physique ou en biologie. Il s’agit pour l’enseignant de faire réaliser aux élèves que l’intention des enseignements à l’école a pour but de former des élèves capables de faire des transferts. L’école devrait favoriser une transversalité des savoirs. Le transfert doit être accompagné et expliqué aux élèves afin qu’il ait lieu et qu’il puisse se répéter.

La complexité propre du contenu
Il s’agit dans ce type d’erreur d’analyser la source de l’erreur. Est-elle due à un manque d’enseignement ou à un manque de compréhension ? Il peut être intéressant de replonger dans la didactique de la discipline pour aller y chercher des pistes de réponse.

Pour résumer, Astolfi propose un tableau récapitulatif des types de diagnostics possibles concernant les erreurs décrites. (page 96 et 97)

Nature du diagnosticMédiation et remédiation
1. Erreurs relevant de la rédaction et de la compréhension des consignes_ Analyse de la lisibilité des textes scolaires
_ Travail sur la compréhension, la sélection, la formulation de consignes
2. Erreurs résultant d'habitudes scolaires ou d'un mauvais décodage des attentes_ Analyse du contrat et de la coutume didactique en vigueur
_ Travail critique sur les attentes
3. Erreurs témoignant des conceptions alternatives des élèves_Analyse des représentations et des obstacles sous-jacents à la notion étudiée
_ Travail d'écoute, de prise de conscience par les élèves et de débat scientifique au sein de la classe
4. Erreurs liées aux opérations intellectuelles impliquées_ Analyse des différences entre exercices d'apparence proche, mais qui mettent en jeu des compétences logico-mathématiques diverses
_ Sélection plus stricte des activités et analyse des erreurs de ce cadre
5. Erreurs portant sur les démarches adoptées_ Analyse de la diversité des démarches "spontanées", à distance de la stratégie "canonique" attendue
_ Travail sur différentes stratégies proposées pour favoriser les évolutions individuelles
6. Erreurs dues à une surcharge cognitive au cours de l'activité_Analyse de la charge mentale de l'activité
_ Décomposition en sous-tâches d'ampleur cognitive appréhendable
7. Erreurs ayant leur origine dans une autre discipline_ Analyse des traits de structure communs et des traits de surface différentiels dans les deux disciplines
_Travail de recherche des éléments invariants entre les situations
8. Erreurs causées par la complexité propre du contenu_ Analyse didactique des nœuds de difficulté internes à la notion, insuffisamment analysés

La conférence suivante traite de l’analyse d’erreur:

LDAO Webinar French from LDAO on Vimeo.

Dans ma pratique professionnelle, l’analyse d’erreur est utilisée comme un outil de remédiation, c’est-à-dire que c’est une manière d’aider mes élèves à corriger leurs conceptions erronées. Toutes les erreurs ne doivent pas être analysées. En effet,  celles qui nous intéressent sont celles qui paraissent significatives, c’est-à-dire celles qui sont reproductibles chez l’élève et qui peuvent être mises en relation avec d’autres erreurs. Concrètement, il n’est pas nécessaire d’appliquer un tel dispositif aux fautes d’inattention ou d’étourderie, ce type d’erreurs pouvant être  contrôlé à l’aide d’exercices de drill. Brousseau précise que la didactique ne s’intéresse qu’aux erreurs qui auront une conséquence sur l’apprentissage en situation didactique. Le professeur ne peut tenir compte d’un erreur que sous les conditions suivantes :

  • la production de cette erreur est suffisamment fréquente chez l’élève ou dans la classe
  • l’erreur aura des conséquence importantes sur d’autres acquisitions
  • il doit être possible de rattacher des décisions didactiques à l’erreur.

Brousseau relève également qu’il est vain de vouloir faire que l’élève distingue, a priori et de lui même, des différences d’importance entre ses erreurs. Il ne peut pas distinguer les erreurs qui vont rendre difficiles des acquisitions ultérieures, ce qui est pour le professeur le critère le plus important. De même il lui est difficile sur une première présentation d’imaginer si les mêmes conditions vont se représenter souvent ou non.

Une erreur peut susciter plusieurs analyses et hypothèses d’interprétation, c’est pourquoi si vous pensez à une analyse différente de celle proposée sur cette page n’hésitez pas à m’en faire part.

Références:
1. Astolfi, P. (2017). L’erreur, un outil pour enseigner. Paris: ESF.
2. Brousseau, G. (2000-2001), petit x, n°57, pp 5-30.
2. Charnay, R. (1992). Traitement des erreurs en mathématiques et stratégies de différenciation. Repères, recherches en didactiques du français langue maternelle, n°5, 1992, pp. 87-101. Accès
3. Moriah Sokolowski, H., Ansari, D. (2017). Who is afraid of math ? What is math anxiety ? And what can you do about it ? Neuroscience, octobre 2017, art. 57. Accès

Des exemples concrets d’analyses suivront.